Je ne sais pas si vous avez
entendu parler de ce qu’on peut appeler le concept de « l’homme-foule »,
je n’ai pas trouvé grand-chose sur le net sur ce thème qui me trotte pourtant
dans la tête depuis quelque temps, pourtant quand je vois quelle place prend la
télévision de nos jours ça me semble crucial de faire une pause, de prendre du
recul et d’analyser ce qui se trame exactement tant le silence sur la chose me trouble.
Je n’ai pu résister à relire
Hannah Arendt,
une des philosophes qui m’aura décidément le plus marqué mais ça on s’en fout.
La philosophe tente d’expliqur comment se conjuguent, dans les systèmes
totalitaires, la masse
et la solitude. La clé
de l’obéissance absolue à un système idéologique délirant entraînant une
terreur et des meurtres à grande échelle réside dans ce qu’elle appelle les
masses atomisées. L’individu totalitaire adhère d’autant plus facilement à une
organisation de masse qu’il se sent délié des solidarités traditionnelles intermédiaires
entre l’Etat et l’atome humain. Tour processus historique lié à la révolution industrielles,
à l’apparition de l’antisémitisme moderne et de l’impérialisme a, selon Arendt,
détaché les hommes de leurs racines familiales, sociales et nationales, et les
a préparés à obéir aux ordres de l’Etat total. Ce déracinement est lié à l’isolement
politique. En effet, « la terreur ne peut régner absolument que sur des
hommes qui sont isolés des uns des autres » (Le Système totalitaire).
Cette étape supplémentaire explique que, dans le monde totalitaire, la future
victime se sente parfois déjà superflue ; que le bourreau puisse devenir
sans aucune explication victime à son tour. Elle permet de comprendre que l’on
puisse dénoncer son meilleur ami parce qu’il est juif ou ses parents parce qu’ils
sont « ennemis du peuple ». Plus profondément que la solitude, la désolation isole les être qui, par ailleurs, ne vivent plus qu’en masse. Ayant
détruit les classes, les partis, les associations, les familles, l’Etat
totalitaire dispose à sa guise des individus. Modelé par l’idéologie, séparé
des autres de manière ontologique, l’homme du totalitarisme est à la fois masse
et atome.
Alors oui on est sorti de l’ère
totalitaire, il n’y a plus dans nos contrées, de guides suprêmes, d’idéologies
criminelles ni de contraintes physiques sur les individus. Mais les masses
existent toujours, sous une forme inédite. Elles sont devenues virtuelles. Plus
de défilés sur la place Rouge ,de grands-messes à Nuremberg , de jeunesse hitlériennes, de
slogans obligatoires et de cours d’histoires falsifiés. Pourtant quand on
regarde la télévision, libres, avec ses programmes variés, les jeux aux règles
strictes où le pilote de jeu entraîne une obéissance et un conformisme important, elle consacre l’avènement
de l’homme-foule. Des
gens peuvent tout à coup devenir des
bourreaux volontaire en quelques heures sans terreur ni idéologie. Quant
aux spectateurs, chaque fois qu’ils appuient sur leur télécommande, ils
reçoivent un programme dans la solitude de leur intimité domestique. Mais ils
se sont en même temps reliés à des millions de spectateurs solitaires, et
soumis aux mêmes influences. Leur puissance tien en partie au fait que tous,
participants d’un jeu ou participants d’un jeu ou téléspectateurs, éprouvent un
sentiment d’irréalité. Même la
barbarie paraît virtuelle. La montée en puissance de la télé-réalité
ajoute à cette déréalisation une porosité entre spectateurs et participants.
Ainsi le candidat est-il un ancien téléspectateur, et ce dernier un futur
candidat. La distance entre ce qui se
passe dans et hors du piste se rduit, instaurant une sorte de bulle télévisuelle
globale. Les nouveaux ermites, reliés à la même icône mouvante qui leur tient
lieu d’objet de culte, sont ainsi mieux modelés par le pouvoir télévisuel dans
leur intimité solitaire que s’ils étaient physiquement réunis. Leurs pulsions
sont mobilisées de manière plus puissante encore : on ne regarde pas de la
même manière un film violent seul devant sa télé qu’au ciné. Plus encore, les
pulsions solitaires se conjuguent, grâce à ce dispositif nouveau, avec les
pulsions de la foule. Grâce à la télévision, on peut à la fois jouir de plaisir
solitaires et d’associer à la meute. On peut trouver un personnage de la
télé-réalité attirant dans son intimité et le considérer comme ridicule en
rejoignant la foule des autres téléspectateurs. Double plaisir de la
satisfaction intime et de la pulsion grégaire. Le « dé-foulement » est
individuel et collectif. La télévision a réussi le tour de force de conjuguer
les mauvaises manières de l’homme dérobé au regard d’autrui et celles de la foule
que rien n’arrête.
A la différence de Gustave Le Bon,
l’individu n’a plus besoin d’être en foule. Il n’a même plus besoin de sortir
de chez lui pour adopter un type de comportement de masse. Mais son déracinement,
son arrachement à ses proches, est toute aussi radicale que dans l’analyse d’Hannah
Arendt. Toute en produisant des conduites grégaires, la télévision détruit l’espace
privé et les communautés les plus solides. Rien de plus idyllique, pour des publicitaires,
qu’une famille unie devant un poste de télévision. La réalité est que chacun
est mobilisé dans ses pulsions de manières solitaires. D’ailleurs avec la multiplication
des écrans au sein de la même famille, la solitude deviens encore plus
palpable. C’est en isolant les individus les uns des autres que la télévision
va pouvoir les faire agir, isolément, comme des foules. Avant que les dernières
barrières ne soient franchies, il est temps de s’inquiéter de cette hypnose
télévisuelle.
Belle analyse.
RépondreSupprimerJe concluerais abruptement au pied levé par ceci car il existe un antidote (qui n'est pas de supprimer la télé, ça les gens ne sont pas prets)
Plus vous regardez le télé, plus vous devez avoir une vie sociétale ( être membre d'une association sportive, culturelle, scolaire, bénévolat etc etc) ce qui devrait être suffisant pour garder l'esprit l'oeil et l'oreille critique
Exemple : Lorsque vous entendez au début d'une émission "Voici ce que VOUS devez retenir de l'information ..." Barrez vous ;)
oui ! Le problème c'est que vient un moment où, aveugles par la télé, les gens cessent d'être présents à leur propre existence et à celle de leurs semblables, elle offre une réalité de rechange bien plus alléchante que leur quotidien...c'est facile de tomber dedans et de s'isoler...
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